France : détenteur de terre et propriété foncière, grand propriétaire terrien

3 %. C’est la part infime d’exploitants agricoles qui tiennent aujourd’hui plus de la moitié des terres cultivées françaises, chiffres de la Commission des comptes de l’agriculture en main. Un seul investisseur institutionnel, caché derrière des montages juridiques ou des sociétés agricoles, peut cumuler des milliers d’hectares dans son porte-feuille.

Malgré les dispositifs de régulation, certaines personnes morales extérieures au monde agricole accèdent à la propriété rurale. Ce phénomène, loin d’être cantonné à l’Hexagone, se retrouve à l’échelle globale, où fonds souverains et multinationales figurent parmi les plus grands détenteurs de terres.

Qui détient les plus grandes surfaces agricoles en France et dans le monde ?

Le paysage de la propriété foncière agricole en France se distingue par une concentration saisissante. Quelques grands propriétaires terriens dominent de vastes territoires. Parmi eux, le groupe Louis Dreyfus s’impose, notamment dans la Marne, via un réseau de filiales et de sociétés d’exploitation. Autre acteur de poids : Axa, qui, par l’intermédiaire de la Caisse des dépôts, gère des actifs agricoles et forestiers couvrant plusieurs millions d’hectares.

Le phénomène de concentration ne s’arrête pas aux frontières françaises. Dans d’autres régions du globe, la taille des exploitations agricoles atteint des proportions vertigineuses. En Australie, des sociétés comme Australian Agricultural Company ou Jumbuck Pastoral Company administrent chacune plusieurs millions d’hectares. Ces groupes, parfois cotés en bourse, contrôlent des empires fonciers qui rivalisent avec la superficie de certains pays. Côté familles, la dynastie Rinehart détient à elle seule des millions d’hectares sur le continent australien.

En France, la surface agricole utile avoisine les 28 millions d’hectares, mais la répartition demeure inégale. Moins de 10 % des propriétaires fonciers possèdent la majorité des terres. Ce modèle s’est bâti sur l’héritage de familles ou d’industriels, souvent issus de grandes fortunes parisiennes ou provinciales. Désormais, de nouveaux profils émergent : sociétés d’investissement, fonds de pension, parfois internationaux. Leur méthode ? L’achat de parts de sociétés plutôt qu’une acquisition directe de parcelles, contournant ainsi certains contrôles.

Pour illustrer cette répartition, voici les principales catégories d’acteurs sur le marché foncier :

  • France : groupes agroalimentaires, familles historiques, investisseurs institutionnels concentrent l’essentiel des terres
  • Monde : multinationales, sociétés pastorales et grandes fortunes familiales se partagent des millions d’hectares

Concentration foncière : une tendance qui s’accélère

La concentration des terres s’amplifie. Dans les campagnes françaises, ce mouvement s’accélère comme rarement depuis la fin du XIXe siècle. Les exploitations agricoles ne cessent de grossir, tandis que les rangs des propriétaires fonciers s’amenuisent. Sociétés agricoles, grandes entreprises agro-industrielles et certaines coopératives agricoles multiplient les rachats d’exploitations et de parts sociales, transformant le marché.

Le marché des parts de société, peu transparent, échappe en partie à la régulation. Résultat : de vastes ensembles agricoles se forment, détenus par quelques groupes structurés, souvent bien loin de la vie locale. La loi Sempastous a été conçue pour limiter ces stratégies d’acquisition indirecte en renforçant le contrôle des opérations via sociétés. Mais face à l’ingéniosité juridique des investisseurs, le filet reste large. Les terres changent de main, les héritages du Code civil sur le morcellement de la propriété volent en éclats, remplacés par une logique de capitalisation où l’on raisonne en millions d’hectares et non plus en parcelles familiales.

Pour mieux saisir l’ampleur du phénomène, voici l’évolution de la taille moyenne des exploitations :

Nombre d’exploitations agricoles Surface moyenne (hectares)
1988 31
2020 69

Cette transformation bouleverse le visage des campagnes françaises. Les structures familiales, déjà fragilisées, peinent à affronter la puissance des grands groupes. L’accès au foncier devient un parcours du combattant, la spéculation sur la propriété foncière gagne du terrain, et la dimension nourricière de la terre s’efface derrière la logique financière.

Quels impacts pour l’agriculture et les territoires ruraux ?

La concentration foncière redéfinit les contours du monde rural. Les grands groupes, souvent structurés en sociétés, prennent la main sur une part croissante de la surface agricole utile. Les exploitations familiales, longtemps colonne vertébrale du modèle agricole français, reculent. Les agriculteurs voient leur marge de manœuvre se réduire, confrontés à des bailleurs parfois absents, guidés par le rendement plus que par l’attachement à la terre.

Le développement du faire-valoir indirect fragilise les fermiers. Leur stabilité se délite, les investissements deviennent plus difficiles à envisager, les baux raccourcissent. Dans ce modèle, la rente foncière passe avant la production ou la transmission des savoir-faire. La biodiversité n’est pas épargnée : multiplication des monocultures, usage massif d’intrants, disparition des haies et des prairies font partie du paysage.

Les territoires ruraux encaissent également le choc social : moins d’emplois directs sur les grandes fermes, villages qui se vident, recul des services de proximité. La transition vers l’agroécologie s’en trouve freinée, car elle suppose un lien fort avec la terre et un engagement durable, difficilement compatible avec la spéculation foncière.

Voici les principales conséquences de cette évolution sur l’agriculture et les territoires :

  • Perte de diversité agricole
  • Précarisation des exploitants
  • Diminution de l’emploi local
  • Freins à la transition écologique

Au fil des années, la propriété foncière redessine ainsi la relation entre la terre, ceux qui la travaillent et les territoires, au profit d’une logique patrimoniale plus distante.

Femme vigneronne vérifiant un registre près du portail

De la noblesse aux sociétés d’investissement : histoire et mutations des grands propriétaires terriens

Les grands propriétaires terriens d’aujourd’hui s’inscrivent dans une histoire longue, marquée par des ruptures successives. Sous l’Ancien Régime, la noblesse terrienne règne sur d’immenses domaines. La terre représente alors la richesse et le pouvoir des classes dominantes. Des vastes latifundia, hérités ou acquis, structurent la société rurale et assurent la mainmise des familles sur leur territoire.

La Révolution française redistribue les cartes : expropriations, redistribution partielle, mais aussi montée d’une nouvelle bourgeoisie foncière. L’héritage s’appuie sur l’indivision, perpétuant l’influence des dynasties, hommes et femmes confondus, sur la propriété foncière. Au XIXe siècle, le capitalisme industriel façonne d’autres figures du grand propriétaire : négociant, banquier, spéculateur.

Aujourd’hui, le décor a changé. Les grandes dynasties du capitalisme français partagent le terrain avec des sociétés d’investissement, fonds privés ou institutionnels. La propriété foncière devient un actif financier, un outil de stratégie patrimoniale sophistiquée. Les anciennes haciendas sont remplacées par des holdings, parfois opaques, qui gèrent des milliers, voire des dizaines de milliers d’hectares.

L’égalité de genre gagne du terrain dans ce secteur. Des femmes héritières, gestionnaires ou entrepreneuses s’imposent désormais sur la scène agricole. Les modèles évoluent, le patriarcat foncier recule, mais la concentration des terres reste, elle, un marqueur fort de notre époque.

La terre, enjeu de pouvoir, de richesse et de transmission, continue d’attiser toutes les convoitises, et de façonner, à bas bruit, l’avenir du pays.

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